dimanche 30 décembre 2007

Une expérience politique et humaine - 1936















Dans la zone de La Molette, comme ici à l'entreprise Richard, plusieurs centaines d'ouvriers occupent les usines jour et nuit. - © archives municipales.

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Les revendications des grèves de 1936 tenaient surtout compte de l'être humain. Pour ceux qui l'ont vécue, cette année est synonyme d'acquis sociaux qui se sont développés par la suite et de moments intenses.
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«Les congés payés, les conventions collectives… on veut nous faire croire aujourd'hui que ces conquêtes issues de 1936 et du Front populaire appartiennent au passé. Or ce sont des projets pleins d'avenir, qui tiennent compte de l'être humain et non du profit. Par ailleurs, on peut observer leur évolution depuis ces soixante-dix dernières années. Les congés payés par exemple sont passés de deux à cinq semaines», souligne Alain Lepert, vice-président de l'institut CGT d'histoire sociale, intarissable sur les apports de cette année qui est restée un symbole pour les personnes qui l'ont vécue. De ce symbole, l'institut, en partenariat avec le musée de l'Histoire vivante de Montreuil en ont résumé et illustré les moments forts dans un album et une exposition (*), consacrés à 1936 et aux années du Front populaire. «Loin d'être une parenthèse, le Front populaire apparaît comme un point de départ, une expérience fondatrice pour comprendre l'histoire sociale et politique de la France jusqu'à nos jours», explique Serge Wolikow, professeur d'histoire contemporaine en avant-propos du livre. «En présentant l'histoire du Front populaire, cet album peut inciter ceux qui le liront à s'emparer de cette expérience historique originale d'hier pour nourrir leurs réflexions d'aujourd'hui et leurs engagements de demain!»«Ma blonde, entends-tu dans la ville siffler les fabriques et les trains. Allons au-devant de la vie…» Soixante-dix ans après 1936, Paulette Derlyn se souvient encore parfaitement des paroles des «tubes» de ses 8 ans, entonnés dans la cour de l'école communale Jules Ferry. «Tous les gamins connaissaient cette chanson par cœur et on reprenait également à tue-tête «Tout va très bien Mme la marquise». Des paroles qui rendent compte du contexte national où naît le Front populaire. A commencer par les grèves qui suivent les élections du printemps 1936 et l'instauration du gouvernement de «Front populaire» dirigé par Léon Blum. «Mon père était dessinateur-industriel chez Citroën. Il a téléphoné un jour à ma mère pour lui demander de lui apporter à manger, se rappelle Paulette. A l'usine, tout le monde s'était mis en grève.»Cette vague de grèves grandit en mai au Havre, rejoint Toulouse avant d'atteindre la région parisienne et Le Blanc-Mesnil. «L'objectif était de pousser Blum à l'action, résume Roger Brazzini, alors jeune gréviste d'une entreprise de «construction mécanique» à Stains, où sont fabriqués des métiers à tisser destinés aux filatures du Nord. Nos revendications portaient sur les horaires, les salaires et les assurances sociales pour tous». Au Blanc-Mesnil, l'heure est à la mobilisation dans l'unique zone industrielle située sur la commune. «Quand je partais en train vers Paris, je voyais flotter les drapeaux rouges sur les cheminées des usines de La Molette, témoigne Fernande Ancelin dont le mari, Roger, est délégué syndical CGT à l'entreprise Richard. «Plusieurs centaines d'ouvriers occupaient les usines, jour et nuit. Ils recevaient quotidiennement la visite du maire Duquenne et de son adjoint Baptiste Hurel… Roger, lui, faisait la quête tous les jours dans les alentours pour aider financièrement les familles des grévistes.» Du côté de Maggi, les marmites ne préparent plus le célèbre «Bouillon Kub». Un technicien veille à l'entretien quotidien des machines et de la chaudière. Le comptable Eugène Fischer se rend tous les jours à son bureau, à bicyclette. Il est persuadé que les ouvriers vont obtenir gain de cause. Sa femme Rose Fischer suit avec attention l'actualité, grâce à la presse et à la radio. «C'est difficile d'imaginer aujourd'hui ce que les grévistes risquaient alors, remarque-t-elle. Aujourd'hui, on peut s'engager dans un syndicat sans perdre son boulot et son salaire. A l'époque, ces pionniers ont couru le risque d'être congédiés du jour au lendemain. Certains se sont sacrifiés pour obtenir gain de cause. Leur lutte sociale était très courageuse.»Au Blanc-Mesnil, comme dans toute la France, les grèves prennent fin en juin 1936, avec la signature des «Accords Matignon» entre Léon Blum, la Confédération générale de la production française (ancêtre du Medef) et la Confédération générale du travail (CGT). Cet ensemble de textes accorde une augmentation de 5% à 17% des salaires, la reconnaissance du droit syndical et l'élection de délégués du personnel dans chaque entreprise. En complément, sont votées deux lois, l'une instaurant les 40 heures hebdomadaires de travail; l'autre, deux semaines de congés payés. Malgré les 153 millimètres de pluie tombés en juillet, nombreux sont les Blanc-Mesnilois qui s'en vont en vacances dans leur famille, en villégiature par le train ou à l'aventure sur les chemins, à bicyclette. «Je suis partie avec mes parents quinze jours la première année à Saint-Malo et la deuxième à Nice, avec la Compagnie Bonnet, dans un vieux train en bois, lent et peu confortable… mais à tarifs réduits», raconte Simone Brazzini. Comme on travaillait tous les trois, on a pu se payer l'hôtel.» Roger Brazzini n'a pas eu cette chance. «Le patron m'a compté mes jours de grève comme des congés payés. Je n'ai pu partir qu'en 1937, avec ma première moto, une Norton 500, achetée d'occasion avec ma prime d'apprentissage.» Pour la petite Paulette, les congés payés riment avec la découverte de la Nature (avec un grand N) à la campagne. «C'est difficile d'expliquer aujourd'hui le merveilleux de ces toutes premières vacances. Nous en avons profité, deux ans de suite, pour rendre visite à la famille restée dans l'Allier. Le voyage a duré six heures à bord d'un train qui crachait de la fumée noire. Aucune comparaison n'est possible avec les TGV actuels. Pour déjeuner, nous avions emporté du saucisson, des œufs durs et un camembert bien fait. C'était formidable!»

(*) Une coédition de l'institut CGT d'histoire sociale et de «Cultures et Diffusion» en partenariat avec le musée de l'Histoire vivante de Montreuil. L'album est préfacé par Serge Wolikow et ses textes sont rédigés par Jean Vigreux, maître de conférences en histoire contemporaine à l'université de Bourgogne. L'exposition et l'album seront visibles au Blanc-Mesnil en mai prochain.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

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